À l’occasion de la fête de l’Ascension, nous vous proposons cette méditation sous forme de parabole, qui pourrait s’intituler « Deviens ce que tu es ». C’est un témoignage envoyé par Charles-Henri et publié cette semaine dans Camino n°106 de juin 2011. Un itinéraire intérieur sur le Camino francés…
Camino de Santiago, Avril 2000.
Saint-Jean-Pied-de-Port, Roncevaux, Pampelune, Logroño, Burgos, León, Santiago.
Le premier jour, le marcheur du dimanche, apprenti pèlerin, ayant endossé la panoplie « baroudeur » chez son magasin de sport préféré, fort de ses certitudes, bien dans sa peau, et content de lui, ressemble un peu à un meuble de style ou à un bahut rustique, remarquablement ciré, bien placé et depuis toujours, admiré.
Passé le col de Roncevaux, notre cher meuble perd un peu de sa superbe ; disparu le brillant qui faisait son orgueil, évanoui son aspect flatteur, ne reste qu’un meuble quelconque, banal, mais qui fait encore son petit effet.
Quelques jours plus loin, franchi le magnifique pont roman de Puente la Reina, le meuble se disjoint, se démantibule, se disloque, ne restent que quelques planches éparses, du bois à brûler.
Enfin, après des jours et des jours de marche, dans la solitude, le silence et la beauté du chemin, à travers l’immense meseta de Castille déserte et grandiose, les planches sans importances retournent dans l’humus profond rejoindre les racines dont elles sont issues.
De même, le marcheur, après des heures et des heures d’effort, de peine et d’émerveillement, débarrassé de toutes les frivolités qui encombraient son maigre cerveau, devient enfin pèlerin authentique ; alors se révèlent en lui la fragilité, la vanité, la fugacité de son existence ; en même temps, marchant des lieues et des lieues, des jours et des jours, dans la nature sauvage, sous un soleil roi, sous une pluie glacée, ou dans la douceur parfumée d’une forêt d’eucalyptus, l’homme, ou mieux, l’enfant prodigue de la création, redevient frère de l’arbre, ami de l’écureuil, complice des oiseaux s’envolant au froissement d’une brindille sous le pas, ombre des étoiles et compagnon des fleurs inconnues qui font chanter le chemin.
Alors, comme une source pure et fraîche, la prière vers l’Éternel coule d’elle-même, joyeuse, sincère ; le brouillard de sa vie se dissipe et il ressent quelque chose de supérieur, d’indicible, comme une relation cosmique, fusionnelle avec la création, avec l’Esprit.
Longtemps, le pèlerin marchera avec bonheur sur le chemin qu’il voudrait sans fin.
Charles-Henri Masson
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