Hospitaliers sur les chemins de Compostelle
Ce témoignage d’André Dehnel a paru dans Camino n°107 de juillet 2011.
Dans les publications jacquaires, on trouve beaucoup de récits et de souvenirs de pèlerins. Très curieusement, les hospitaliers n’y prennent jamais parole. Or, c’est aussi une expérience forte et riche qui est, je crois, digne d’être contée.
J’ai décidé donc de partager avec les lecteurs de Camino ma modeste expérience personnelle.
D’autre part, il existe des associations jacquaires qui voudraient favoriser l’implantation de gîtes mais n’en ont pas les moyens. L’entente entre les deux semble donc être une excellente solution: la municipalité fournit le local et l’association recrute les hospitaliers. Je ne sais même pas qui fournit les meubles et l’équipement.
La motivation pour être hospitalier? Je pense que, comme pour le cheminement, chacun a la sienne. La mienne, c’est de vouloir poursuivre les rencontres jacquaires dans un autre cadre, servir les autres, ne pas être seul.
J’ai exercé cette mission durant au total cinq semaines à Baziège, Revel (voie d’Arles) et La Coquille (voie de Vézelay). À chaque fois un petit gîte de moins de dix places.
La journée de l’hospitalier commence un quart d’heure avant celle des pèlerins, car il faut préparer le petit déjeuner. Parfois, ça peut être par la sortie vers la boulangerie, pour chouchouter ses hôtes avec les baguettes encore chaudes. Après leur départ: nettoyage du gîte; puis c’est le temps libre jusqu’à 15-16 heures quand on ouvre et qu’on attend les pèlerins. Parfois, d’ailleurs, en vain… Sur ces voies moins fréquentées, il y a des nuits sans hôtes. S’ils arrivent, on commence par leur proposer une boisson fraîche, on les interroge sur leur étape, on accomplit les formalités d’accueil. La nuit avec le petit déjeuner coûte 10-12€, le dîner éventuel en sus. Puis, il faut leur demander s’ils souhaitent qu’on leur prépare le dîner, ou bien s’ils préfèrent cuisiner tout seul. Dans ce dernier cas on leur indique les commerces, mais ils ont naturellement le droit d’utiliser les produits de base non transportables du gîte. Après la lessive et la douche, s’ils le désirent, on parle de nos expériences jacquaires et autres choses. Et là, comme sur le Chemin, on fait des rencontres intéressantes, voire extraordinaires…
L’hospitalier peut donner les conseils et indications quant aux étapes suivantes et faciliter la réservation pour celles-ci.
Réservations. En principe il n’y en a pas. L’hospitalier répond au téléphone, informe si pour une certaine nuit il a beaucoup d’inscriptions, inscrit les pèlerins. Mais ceci n’est pas une réservation. Le principe « premier arrivé: premier servi » prévaut toujours. Dans le cas d’une tentative de non-réservation pour « dans deux mois » on la note, mais on conseille de rappeler la veille d’arriver. On peut aussi demander d’avance si les pèlerins souhaitent qu’on leur prépare le dîner. Il faut dire que sur les voies peu fréquentées où j’exerçais, je n’ai jamais eu de problèmes de places.
Mes permanences ont duré une ou deux semaines. Il n’est pas indispensable d’être membre d’une association pour être hospitalier. Il suffit de répondre aux annonces dans les publications jacquaires. L’hospitalier (ou les hospitaliers, car c’est une activité qui est parfois exercée par les couples) a d’habitude une chambrette à sa disposition.
Une expérience intéressante. À Revel, je suis sorti sur la place du marché où j’ai rencontré trois femmes: deux très jeunes et une un peu moins, manifestement cheminant. Je les ai abordées en proposant mon gîte. Elles étaient financièrement limitées. Ceci n’est naturellement jamais un obstacle. C’était une éducatrice belge qui faisait Chemin avec deux filles « à problème » dans le cadre d’un programme d’insertion sociale.
En 2009, en marchant sur la voie de Vézelay (étape se terminant à La Châtre), j’ai rencontré une famille allemande de composition insolite: couple avec trois enfants de 9, 11 et 12 ans. Le projet était d’arriver à Santiago l’année de la majorité de l’aîné. Comme ils campaient et que les sacs-à-dos des mômes n’étaient pas grands, le papa tirait un Carix. Cheminer avec eux durant 6 heures fut un vrai plaisir. Les enfants étaient épanouis et joyeux. Ils jouaient et chantaient en marchant. Au point où moi, qui pour des raisons météorologiques, ne chante jamais, me suis mis à leur apprendre les chansons françaises. C’est une famille très croyante. Je suis resté en contact avec eux. Et je savais qu’ils comptaient reprendre le Chemin en 2010. Cette année-là, je tenais le gîte de La Coquille, mais je ne comptais pas les rencontrer, sachant qu’ils campaient. Quelle fut ma joie en les voyant débarquer devant « mon » gîte le dernier soir de ma permanence! Ce coup-ci, ils y ont dormi et la rencontre fut chaleureuse.
On peut inscrire ma première permanence d’hospitalier à Revel dans la grande tradition du pèlerinage. Je devais la commencer le 27 avril à midi. Après un calcul savant, je suis parti à pied d’Arles le 15 avril et le jour J à l’heure H je pris mon service à Revel. Pour partir une semaine plus tard terminer mon cheminement.
A. Dehnel
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